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mardi 15 août 2017

Ma plus grande émotion littéraire

Cette semaine, #FranceCulture consacre sa série "Avoir raison avec" à #VirginiaWoolf. L'épisode que la station est rediffuse tandis que j'écris ces lignes en l'écoutant  est consacré à sa passion de l'amitié, de l'intime, de saisir l'autre jusqu'à l'intime et de n'y pas parvenir, comme des "vaisseaux scellés" sans cesse en présence et toujours en mouvement, à son insatiable besoin d'affection, que satisfait partiellement non pas tant la présence de l'autre que la présence de ses mots et des mots qu'on lui envoie.
J'ignorais que Virginia Woolf était une grande épistolière et que la manière dont l'amitié prenait chair dans sa vie était les lettres. Mais son plus grand roman d'amitié, comme l'une des émotions littéraires les plus profondes, sinon la plus profonde de ma vie, m'a été procurée par son roman Les vagues, Waves, l'un des premiers romans chorals et un grand roman d'amitié.
Je ne sais pas ce que pensaient de ce roman les théoriciens du nouveau roman, perdus dans le "psychologisme français", regrettait Sartre, et qui voulaient que le roman s'écarte du roman balzacien pour ne pas "typifier" un personnage, restitue une sous-conversation plus volontiers qu'un dialogue, et dépeigne une atmosphère plutôt qu'il ne raconte une histoire. Tous les personnages des Vagues sont des types humains. Ils ne sont que la quête d'un seul bien spirituel. La quête ne parvient jamais à ses fins, c'est son lot. Qui cherche quelque chose ou se cherche ne se trouve pas, comme le remarquait déjà maître Eckhartt. Le seul moyen de trouver ce qu'on cherche est que notre quête soit intransitive, impersonnelle. Dieu personnifie déjà trop la quête. Or on se cherche, on cherche l'autre, on cherche à devenir quelqu'un, et on ne s'atteint pas plus qu'on n'atteint l'autre. Mais peu importe, on a roulé l'un vers l'autre, dans le flux incessant des vies qui roulent dans la ville. Des vies qui s'engouffrent et se perdent dans le carembolage d'un escalator. Mais la présence des mots de l'autre, qui traduisent la chaleur de sa quête dont nous sommes les témoins, console de tout, même Virginia Woolf qui finit par se suicider, mais  termine sa dernière lettre écrite quelques heures avant à son mari qu'elle aime: "Nous avons été parfaitement heureux. Personne n'aurait pu être meilleur que toi et faire pour moi plus que tu n'as fait. Mais je suis en train de gâcher ta vie et je ne m'en remettrai jamais." Virginia Woolf arrive à la même conclusion que le héros de Fort comme la mort de Maupassant: "Ne perdons pas notre temps à nous demander d'ultimes comptes, Annie, nous nous sommes tant aimés."
Sans y prendre garde, je viens de parler des deux plus beaux romans que j'ai lus, Fort comme la mort et Les vagues. Ce dernieir est un écrin et un trésor mille fois plus inépuisable que tout Proust et sa recherche, tellement surcoté. Les vagues sont le roman de la confusion des présences qui résolvent le problème posé par le besoin d'affection et abolissent la distance métaphysique, qui n'existe pas entre le "moi" et l'autre, qui n'existe pas entre les êtres. Les vagues sont peut-être le seul roman que j'aie envie de relire un jour. Lisez Virginia Woolf, c'est un voyage dont vous ne reviendrez pas et que vous n'oublierez jamais.

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