"Dieu dit JE
et toutes les personnes sont à son image quand elles disent JE",écrit
l'abbé Guillaume de Tanoüarn.
J'ai le rare
privilège de me souvenir de ma prise de conscience. Un matin, je me suis
réveillé, et je me suis demandé, non pas quel était le visage (je ne les voyais
pas) de mes parents, mais quelle était leur voix. Je les ai découvertes, il y
en a une que j'ai aimée plus que l'autre, n'importe. Un soir, je me suis
endormi vagissant dans la conscience simultanée et un matin, je me suis
réveillé conscient.
Ce qui m'a étonné
rétrospectivement est que la première question que je me suis posée était celle
de ma filiation. Bien plus tard, je l'ai récusée, puis j'ai essayé d'assumer ce
que je pouvais de l'héritage ou de la condition de fils. Mais dans ce premier
éveil de ma conscience d'enfant qui jouait dans le couloir, autant il m'était
facile d'identifier mes parents quoi que j'en pense, autant je ne parvenais pas
à m'identifier à moi-même. Sitôt que j'essayais, tout devenait pesant alors que
j'étais chétif et rachitique à faire pitié. Je faisais passivement l'expérience
de ce que Rimbaud a formulé activement en disant : "Je est un
autre".
« La personne est
ce qu’il y a de plus parfait dans tout l’Univers » dit saint Thomas." A ce
compte, est-ce "je" ou "moi" qui suis une personne ?
Quelle perfection y a-t-il en "je" si, ne pouvant m'identifier à
moi-même, je ne puis pas répondre de mes actes ? Serais-je coupable et pas
responsable ?
Certes, si je me réfère à ce
que Dieu révèle de Lui-même au buisson ardent, tout ce que j'arrive à fixer de
Lui, c'est que son Verbe est "le sujet de toutes les paroles" (Il est
donc aussi le sujet de tous mes rapports
sur moi et si c'est le cas, ma question est résolue), mais parce que
l'être est l'objet du "noli me tangere", Il donne ses
prolégomènes à la théologie apophatique. Si donc c'est "je" et non
pas "moi" qui suis une personne, je suis trop l'analogue de Dieu en
ce que ce que je suis, dans mon cas m'excède, mais excède ce que je peux en dire.
Ce que je suis excède ce en quoi je puis répondre de moi. Et autant le fait que
je sois l'analogue de Dieu en excédant ce que je peux en dire pourrait donner
prise à mon orgueil, à mon prométhéisme, voir à mon prothéisme, autant, au
contraire, le fait que je ne peux pas répondre de moi, que je ne suis pas
identique à moi-même, que je suis même étranger à moi-même constitue une humiliation. Plus j'avance et
moins je me ressemble.Une distance semble avoir été mise entre moi et moi-même
pour que je ne puisse pas me ressembler, m'admirer ou me regarder. Je suis
interdit de narcissisme puisque je ne fais pas ce que je veux. Plus je vais,
plus mes actes
s'éloignent de moi. Je n'ai pas donné, en matière de résultat, ce que je
promettais en fait d'espérances. Je ne suis pas devenu ce qui se dégageait de
moi, l'addition promet d'être salée. Plus mes actes s'éloignent de moi, plus je
m'aperçois que je ne peux plus être sauvé que par un transfert de
justification, qui, s'il n'est pas miraculeusement opéré par le Dieudont le Nom
est Salut, doit m'entraîner inexorablement et logiquement dans la seconde mort,
moi dont la vie est pavée de bonnes intentions, mais dont les œuvres ne
correspondent pas.
"Je
suis un autre", j'ai besoin d'un Sauveur ! Si j'étais moi, je me
suffirais. Je ne suis pas fait pour moi, mais pour Lui.
LA LOI DU NOM
Il y a quelque chose de changé au royaume des
hommes depuis qu'Il est venu. Non pas certes visiblement. Visiblement, tout
continue de dysfonctionner. Certains adventistes pensent même qu'il y a une loi
de l'entropie par laquelle la régression historique ira à l'encontre du progrès
technique et que tout ira de mal en pis jusqu'au dernier dévoilement. Ce qui
est changé, c'est que l'homme n'est plus sauvé par la loi, il est entraîné dans
le NOM du Salut ! Ce qui a changé, c'est que la religion de la loi est
devenue la Loi du Nom. "Par quelle autorité fais-tu cela ?"
demandent les scribes. "Par l'autorité de Mon Nom : On vous a dit,
Moi je vous dis, et Je vous le dis sans abroger un iota de la loi."
Dès lors, la question de savoir qui, de
"je" ou de "moi", est une personne, voir si le fait pour
moi de devenir personne suppose l'abdication de ma personnalité, la question se
transforme. A la Ressemblance de Dieu, "je" deviens identique au
message que porte mon Nom. Je ne deviens pas mon mental, mais un peu ma musique
intérieure. Je ne deviens pas la différence de ce que j'ai consommé et de ce
que j'ai assimilé, ou la somme de ce que j'ai produit en espérant que j'aie
produit au-dessus de mes moyens, je ne deviens pas ce que je pense de moi ou la
réputation qui me précède, je deviens ce que je suis sous le regard de Dieu et
dans l'oreille de ceux qui entendent ma musique. Malraux l'a dit, moi, je
m'entends dans ma poitrine, les autres m'entendent de leurs oreilles.
A la
différence de Dieu Qui est mieux cru de moi qu'Il n'est compris, fût-ce de
Lui-même, j'En suis mieux compris que je ne suis crédible à mes propres yeux.
J'En suis compris, donc pardonné si je
l'accepte, et si j'accepte que ce n'est pas à moi de m'accepter, mais à Lui de
me pardonner.
De
même que ce n'est pas à moi de me réaliser, c'est à Lui de me justifier.