En réponse à "Scrutator sapientiae"
Dont le message peut être lu ici
et qui réagit comme moi à la position du P. Hervé Benoît, immédiatement
relevé de ses fonctions par le cardinal Barbarin, qui n'aime pas qu'un de ses prêtres
accuse le diable… La tribune peut être lue en cliquant ou en copiant le lien
ci-dessous :
Bonsoir, Scrutator,
J'écris ces lignes en tremblant, et votre message me donne
matière à clarifier ma position.
Constatons d'abord que le billet du P. Benoît fait parler et
suscite un malaise, parce qu'il met sur le même plan les victimes passives de
modes culturelles décadenteset des crimes qui les ont occises d'une part, et de
l'autre côté les criminels qui ont fomenté et provoqué directement leur mort,
et ceux qui les ont abreuvées d'un satanisme auquel elles étaient plus ou moins
consciemment consentantes.
Le malaise que suscite le billet du P. benoît vient donc de
ce que, non content de ne pas sacrifier à la rhétorique émotionnelle et
compassionnelle sous prétexte que prêtre, il a rendu ses devoirs aux morts en
célébrant pour eux des messes, il met sur le même plan les actifs et les
passifs. Les actifs, ce sont les terroristes et les satanistes. Les passifs, ce
sont (ou ce seraient) les spectateurs, consommateurs des productions des
satanistes et victimes des crimes des terroristes.
Vous avez distingué la culpabilité criminelle et la
culpabilité culturelle, qui ne sont pas équivalentes sur une échelle de
gravité. Soit. Le langage de la société a quant à lui organisé la
déconscientisation des masses en mettant en avant le vocable de "consumérisme".
Les consommateurs deviendraient, sous l'effet du consumérisme, des êtres
sidérés, inconscients, victimes, non de ce qu'ils ont renoncé à produire, non
de ce qu'ils ont renoncé à faire jouer la loi de l'offre et de la demande en
commençant par demander, mais de ce qu'ils seraient incapables de sentir et de
vouloir.
Ce consumérisme ne pourrait être autre chose que victimaire,
et cela tombe bien, puisque plus personne ne veut être aux prises avec le
sentiment de culpabilité, plus personne ne veut faire son examen de conscience.
On préfère l'inconscient à l'examen de conscience, celui-là même qui discerne
la culpabilité réelle de la culpabilité imaginaire. Le consumérisme est
victimaire, et le consommateur est bien content de ne pouvoir être, par
position, du côté des bourreaux, comme ce serait le privilège de l'écrivain, a
prétendu Gilles deleuze, de "sortir du rang des criminels".
La victimisation du consommateur au moyen du consumérisme
affleure au moment épistémique où la
civilisation n'accepte plus que son corollaire soit la responsabilité.La crise
de la responsabilité est devenue sensible dans la crise de la civilisation à travers le "moment Charlie". Les
assassinés de "Charlie" n'étaient certes pas des consommateurs, mais
des créatifs et des producteurs. Mais à aucun moment ceux qui les ont pleurés
n'auraient pu envisager que, s'ils étaient des martyrs de la liberté
d'expression, voire de provocation, c'était qu'ils étaient responsables. Ils
étaient martyrs dans la mesure où ils acceptaient d'être responsables. Mais
comme ils ne voulaient ni être responsables,
ni être martyrs, on les a fait passer pour des victimes innocentes. On
les a intégrés à la folle grille de lecture girardienne où la victime est
toujours innocente et où le violent est toujours le salaud intégral, dont la
monstruosité vient de ce qu'il reste rivé à sa vengeance et à son désir
mimétique. Le terroriste est un monstre, car nous lui refusons le droit de se
venger de nous, qui refusons d'être responsables.
La figure la moins responsable et la plus victimaire est
celle du consommateur, présentée comme la double victime de la culpabilité
culturelle et de la culpabilité criminelle. Eh bien, si nous en faisions, avec
le P. Benoît, non pas une double victime, mais une simple victime! Le consommateur
resterait victime de la folie criminelle, mais
il participerait à la culpabilité culturelle en tant qu'il aurait
choisi, non pas de mourir, mais de courir le risque de mourir tandis que serait
invoqué le nom du diable en sa présence et sous ses applaudissements. Le consommateur aurait couru ce risque pour se divertir au moyen du prestige du sacré.
Je compatis de tout coeur au statu de victime de la
culpabilité criminelle de ces citoyens de mon pays que j'aimerais voir encore à
nos côtés, et qui avaient plus d'intérêt que moi à continuer de voir la lumière
du jour, j'écris cela sans pathos ni humour noir. Mais je ne compatis pas du
tout à la part d'activité criminelle que les victimes culturelles, ou que les
idiots utiles du satanisme ordinaire avaient en leur qualité (ou leur défaut)
de consommateurs débilités par le consumérisme.
Et je regrette enfin, sur un plan plus métapolitique et
moins grave, que le consumérisme aboutisse à ce que le pouvoir s'exerce sur ce
qu'Emmanuel Todd appellerait des zombies. Je le déplore, car il n'est pas dans
la nature du pouvoir de ne pas rencontrer de résistance. Or le consumérisme
fait précisément croire aux consommateurs, ses victimes, qu'ils résistent. Leur
seule force de résistance dans cette épreuve et leur seul patriotisme est de
défendre la "franch way of life" et de rétorquer, comme George Bush
en son temps, que le mode de vie français, "festif, ouvert et
cosmopolite", n'est pas négociable. Leur seul patriotisme possible est la
boboïtude où le drapeau devient "tendance". Cette incapacité à
résister est d'autant plus anachronique et terrifiante que François Hollande,
dont on a compris depuis longtemps qu'il est une graine de George Bush, en
profite pour faire la simili-politique du Front national à l'intérieur, et pour
semer la terreur à l'international en impliquant notre pays dans nombre de
guerres où il n'a que faire. Nos concitoyens consommateurs sans couleur avalent
cette ultime couleuvre et prennent pour argent comptant cette politique
odieuse.